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L’intelligence artificielle dans la gestion d’actifs

Que ce soit pour la construction ou la gestion de portefeuille, la maîtrise du risque, les processus d’investissement ou la connaissance client, la gestion d’actifs regorge d’applications possibles pour les techniques d’intelligence artificielle. Quels sont les enjeux et les défis propres à cet usage ?
Par Antoine Duroyon. Publié le 08 mars 2023 à 18h00 - Mis à jour le 09 mars 2023 à 10h37
Synthèse

Le contexte

À peine remis des affres de la pandémie du Covid-19, les marchés financiers ont affronté en 2022 les conséquences liées à l’invasion russe en Ukraine. Dans un environnement aussi chahuté, avec un taux d’inflation dans la zone euro à un niveau record en 2022 (10,6 % en octobre), les gestionnaires d’actifs sont soumis à un stress intense. 

Après avoir progressé de 12,9 % en 2021 pour atteindre 32 200 milliards d’euros, les actifs sous gestion en Europe ont reculé de 11,8 % sur les neuf premiers mois de 2022 pour redescendre à 28 400 milliards d’euros, selon l’EFAMA. De fortes pressions sur les coûts et un net déclin des revenus forment un cocktail redoutable. Dans ce contexte incertain, une distinction devrait perdurer entre les acteurs capables d’exploiter toutes les opportunités technologiques et ceux à la traîne.

Ce sentiment est déjà perçu par le marché. Selon une étude d’Accenture, 95 % des professionnels interrogés sont convaincus que les capacités technologiques, data et digitales d’un asset manager seront des éléments différenciants en 2025. L’intelligence artificielle (IA), en particulier, offre des promesses alléchantes. Derrière ce vocable, on retrouve principalement l’apprentissage automatique (machine learning) et ses composantes : le deep learning et ses réseaux de neurones artificiels, le traitement du langage naturel, etc. 

Si la définition même de l’IA fait largement débat, le Forum économique mondial la présente comme “une série de technologies, rendues possibles par un pouvoir prédictif adaptatif et présentant un certain degré d’apprentissage autonome, qui ont fait des progrès spectaculaires dans notre capacité à utiliser les machines pour automatiser et améliorer : la détection de schémas, la prévision, la personnalisation, la prise de décision et les interactions”. Pour le glossaire des principales technologies propres à l’IA, lire notre Essentiel “Vers une utilisation responsable de l’intelligence artificielle dans la finance”.

Les cas d’usage

Univers caractérisé par une abondance de données, la gestion d’actifs constitue un terrain de jeu remarquable pour l’IA. Les applications possibles sont nombreuses : 

  • Détection de signaux : Le traitement du langage naturel (NLP), l’un des principaux moteurs de l’IA qui permet à un programme informatique de comprendre le langage humain, permet de minimiser l’erreur humaine dans la recherche pre-trade. Combiné au machine learning, le NLP permet d’analyser un sentiment de marché à partir de données alternatives et non structurées (articles de presse, médias sociaux, sites web…) afin de nourrir un modèle. 

    Par exemple, la start-up française SESAMm développe TextReveal, une solution qui veut donner un avantage compétitif aux gestionnaires d’actifs pour développer des stratégies en s’appuyant sur des sentiments, des indicateurs ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) et SDG (objectifs de développement durable ou ODD). Une autre société française, QuantCube, exploite des volumes massifs de données alternatives (réseaux sociaux, données satellitaires…) pour élaborer quotidiennement des indicateurs macroéconomiques.

Lire aussi : Sylvain Forté (SESAMm) : “Nous allons évoluer de fintech à entreprise IA
  • Construction et gestion de portefeuille : L’IA peut contribuer à améliorer les lacunes des techniques classiques de construction de portefeuille, incorporer de nouvelles stratégies d’investissement et optimiser les portefeuilles en estimant la structure de dépendance entre les actifs financiers. Les modèles de machine learning peuvent améliorer les prévisions des investisseurs mieux que d’autres modèles quantitatifs, par exemple en ce qui concerne l’évolution du rendement des obligations corporate. Selon une méta-analyse de Robeco à paraître dans le Journal of Portfolio Management, “les stratégies de machine learning basées sur les prévisions de rendement des actions surpassent considérablement les stratégies linéaires comparables. Dans chaque étude, le ratio de Sharpe [qui permet d’évaluer la performance d’un investissement comparé à son risque, Ndlr] était d’au moins deux ou plus [si le ratio est supérieur à 1, le portefeuille surperforme un placement sans risque, Ndlr]”.

    Leur exploitation reste néanmoins à relativiser. Ainsi, le robo-advisor américain Betterment, qui gère plus de 32 milliards de dollars d’actifs, a notamment testé des techniques d’IA pour l’optimisation de portefeuille, sans les adopter au bout du compte. “Les réseaux neuronaux peuvent être excellents dans certains domaines, mais ils peuvent également conduire à un ajustement excessif des modèles, estime Mychal Campos, responsable de l’investissement chez Betterment. Cela signifie que si vous formez un modèle sur un ensemble spécifique de données, il peut être très efficace pour expliquer ces données, mais lorsque vous le placez dans le monde réel et que vous faites des prédictions, il n’est pas très performant”. Betterment préfère baser son approche sur la technique mathématique de la méthode de simulation de Monte-Carlo et sur la technique bayésienne du modèle de Black et Litterman.

  • Gestion du risque de portefeuille : L’IA peut permettre de mieux gérer le risque de crédit et le risque de marché en améliorant la modélisation et grâce à la validation (expérimenter, observer et optimiser le comportement du système lors de son exécution) et au backtesting (test sur des données historiques réelles).
  • Processus d’investissement/Trading : L’IA est une composante essentielle du trading algorithmique. Plusieurs hedge funds ont vanté leur capacité à baser leurs opérations sur l’IA sans aucune intervention humaine. Des initiatives très médiatisées comme celles de Sentient Technologies ou Adyian ont toutefois tourné court. D’autres continuent de creuser le sillon du machine learning appliqué au trading, à l’image de Renaissance Technologies et de Bridgewater.

    Les cas d’usage consistent ici à minimiser les coûts de transaction tout en réalisant l’opération dans un laps de temps déterminé grâce aux techniques d’apprentissage par renforcement ou à utiliser le data mining pour des décisions d’investissement.

    Dans le domaine de la gestion d’actifs, un nombre croissant de sociétés de gestion exploitent l’IA dans les stratégies d’investissement, la gestion des risques et la conformité. Cependant, seul un petit nombre d’entre eux a développé un processus d’investissement entièrement basé sur l’IA et promeut publiquement l’utilisation de l’IA”, estime l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) dans une étude parue en février 2023.

  • Efficacité opérationnelle : Les pressions sur les coûts et les marges, combinées à des exigences réglementaires toujours plus fortes, poussent les gestionnaires d’actifs à s’emparer des techniques d’IA pour optimiser leurs process au niveau du middle et du back-office. Les algorithmes de machine learning, mais aussi les systèmes déterministes, permettent d’automatiser des tâches répétitives comme le traitement des mails, d’améliorer l’efficacité des flux de travail et de minimiser les erreurs.
  • Interfaces et parcours utilisateurs : Une meilleure connaissance du client grâce à l’IA permet de développer des produits, services et parcours plus personnalisés et d’augmenter la valeur perçue par le client. Une étude universitaire, publiée en août 2022, sur l’usage de l’IA par les robo-advisors révèle précisément que son principal attrait réside dans les activités tournées vers le client (analytics, communication, acquisition, personnalisation), bien plus que dans la gestion de portefeuille ou le conseil.
Les objectifs associés à l'IA pour les robo-advisors
  • Processus d’investissement/Trading : L’IA est une composante essentielle du trading algorithmique. Plusieurs hedge funds ont vanté leur capacité à baser leurs opérations sur l’IA sans aucune intervention humaine. Des initiatives très médiatisées comme celles de Sentient Technologies ou Adyian ont toutefois tourné court. D’autres continuent de creuser le sillon du machine learning appliqué au trading, à l’image de Renaissance Technologies et de Bridgewater.

    Les cas d’usage consistent ici à minimiser les coûts de transaction tout en réalisant l’opération dans un laps de temps déterminé grâce aux techniques d’apprentissage par renforcement ou à utiliser le data mining pour des décisions d’investissement.

    Dans le domaine de la gestion d’actifs, un nombre croissant de sociétés de gestion exploitent l’IA dans les stratégies d’investissement, la gestion des risques et la conformité. Cependant, seul un petit nombre d’entre eux a développé un processus d’investissement entièrement basé sur l’IA et promeut publiquement l’utilisation de l’IA”, estime l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) dans une récente étude.

  • Régulation : Les techniques d’IA permettent de détecter la fraude et de mieux satisfaire aux exigences de conformité. Un nombre croissant d’acteurs technologiques permettent d’externaliser certaines de ces contraintes. Les autorités de régulation développent aussi leurs propres capacités d’analyse. Ainsi, aux États-Unis, la SEC s’appuie notamment sur la modélisation thématique, une technique de machine learning qui analyse les données textuelles afin de déterminer les mots-clés d’un ensemble de documents, pour débusquer les fraudes comptables. En France, l’AMF a également construit son propre outil de régulation et s’est basée sur du machine learning et du clustering dans sa gestion des opérations suspectes. Lire à ce sujet notre étude de cas “Comment l’AMF a amélioré sa plateforme de surveillance des marchés financiers”.

Les enjeux 

Pourquoi l’IA est difficile à implémenter dans la finance ?

L’industrie de la gestion d’actifs a une longue expérience des solutions propriétaires. L’apport de l’intelligence artificielle, qui requiert des compétences particulières, nécessite donc de jongler entre des ressources internes et externes et avec le “buy vs build” (acheter ou développer soi-même). Le cabinet Deloitte conseille des “quick wins”, c’est-à-dire des réalisations qui permettent de dégager de la valeur à court terme, et une définition claire de la stratégie.

Qualité et intégrité des données

Les données étant le carburant des techniques d’intelligence artificielle, il faut s’assurer de leur qualité et de leur intégrité. Dès lors, il peut être difficile de savoir s’il faut faire confiance au signal, en particulier dans le cas d’un recours aux réseaux de neurones. 

Opacité et complexité

Les modèles d’IA peuvent prendre de mauvaises décisions basées sur des déductions incorrectes capturant des modèles fallacieux. L’explicabilité des algorithmes constitue donc un enjeu clé dans la gestion d’actifs et la supervision humaine reste essentielle. Par ailleurs, il est difficile de prévoir comment les modèles d’IA réagiraient à un événement de type “cygne noir”, défini comme un événement inattendu aux conséquences majeures qui serait rationalisé a posteriori. 

Concentration et risque systémique

Un usage massif des techniques d’intelligence artificielle dans la gestion d’actifs pourrait à terme poser des risques systémiques et de concentration. Leur développement nécessitant des ressources importantes, un nombre limité d’acteurs pourraient bénéficier de barrières à l’entrée et capter une grande partie de l’activité. Certaines études ainsi que le Conseil de stabilité financière estiment que l’exploitation combinée du trading algorithmique pourrait renforcer par ailleurs le risque systémique.

Biais algorithmiques

S’ils semblent potentiellement moins néfastes que dans les activités de crédit, par exemple, les biais algorithmiques pourraient distordre un modèle d’allocation d’actifs et générer un résultat sous-optimal. Un biais algorithmique se traduit par le comportement systématique d’un algorithme débouchant sur une issue inéquitable et en contradiction avec les intentions initiales.

Chiffres clés

L’Esma a analysé la documentation de 22 000 fonds européens ainsi que celle des fonds dans les bases de Morningstar Direct et Refinitiv afin d’identifier les occurrences des termes intelligence artificielle ou machine learning dans les stratégies d’investissement.

À fin 2022, seuls 65 fonds, proposés par 40 sociétés de gestion différentes, indiquent s’appuyer sur l’IA dans leur processus d’investissement. 56 d’entre eux sont ouverts aux investisseurs particuliers. “Les rendements moyens et les alphas des fonds utilisant l’IA au cours des trois années précédant octobre 2022 ne sont pas significativement différents de ceux des fonds qui ne font aucune référence à l’utilisation de l’IA”, note l’Esma. Le constat est similaire pour les acteurs de type “robo-advisor”, pour lesquels l’usage des techniques d’IA n’est d’ailleurs pas une pierre angulaire.

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