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L’investissement en capital-risque dans les fintech et insurtech

Les fintech et insurtech ont, pendant plusieurs années, attiré des investissements colossaux des capitaux-risqueurs, tandis que leurs valorisations se sont envolées. Depuis mi-2022, cependant, le secteur connaît un environnement de marché morose et la tendance s’est inversée : les capitaux se font plus rares et les valorisations sont révisées à la baisse. Tour d’horizon des enjeux de financement pour les fintech et insurtech et des principales forces en présence. 
Par Aude Fredouelle. Publié le 24 mai 2023 à 15h30 - Mis à jour le 31 mai 2023 à 15h26
Synthèse

Le contexte

Les fintech et insurtech ont longtemps été la coqueluche des capitaux-risqueurs. Le secteur attire – comme en atteste la création de fonds dédiés et de fonds corporates – et les niveaux de valorisations ont longtemps été très élevés, plus que dans les autres segments tech. Les observateurs ont d’ailleurs régulièrement évoqué la formation d’une bulle dans le secteur, à l’image de la bulle Internet dans les années 2000.

Depuis  le second trimestre  2022, le secteur fintech a été touché, comme les autres segments de la tech, par une correction de marché majeure. Les valorisations ont chuté et les levées se sont raréfiées. Une évolution qui commence à affecter le marché : les consolidations se multiplient tandis que certaines fintech sont contraintes de fermer.

Fintech et insurtech, secteur en vogue

Depuis une dizaine d’années, la fintech est l’un des segments les plus prisés par les capitaux-risqueurs. Conséquence de cette popularité : les valorisations des fintech se sont envolées, avec des multiples de chiffre d’affaires très élevés. Selon un rapport de SEG (Software Equity Group) rapporté par Finerva, qui se penche sur plus d’une centaine de fintech SaaS cotées en Bourse, la médiane du ratio valeur d’entreprise/revenus était un multiple de 15 fin 2020, et a même atteint un pic au premier trimestre 2021 avec un multiple de 19. Les multiples de chiffre d’affaires des fintech non cotées étaient, eux aussi, élevés. 

Correction début 2022

Début 2022, cette période d’euphorie a cependant pris fin. “La situation macroéconomique a durablement impacté les marchés de financement, à la fois equity et dette”, expliquait en septembre 2022 Vanessa Sorel, directrice en charge du pôle fintech au sein de la banque d’affaires Clipperton, à mind Fintech. L’inflation et la remontée rapide des taux directeurs ont entraîné une contraction de la liquidité sur les marchés et poussé les investisseurs à plus de prudence. Résultat : les stratégies d’investissement ont été réorientées vers des actifs moins risqués tandis que les marchés actions, et en particulier les sociétés tech cotées, ont connu une correction. Après un sommet atteint en novembre 2021, l’indice du Nasdaq a perdu plus du quart de sa valeur au premier semestre 2022. Les fintech, dont les valorisations étaient très élevées, ont été particulièrement touchées : les actions des fintech cotées ont chuté en moyenne de plus de 50 % entre janvier et juillet 2022, contre 29 % pour l’indice du Nasdaq. Selon le rapport de SEG, le ratio valeur d’entreprise/revenus des fintech SaaS cotées en Bourse n’était ainsi plus que de 5,4 au dernier trimestre 2022, contre 14,5 un an plus tôt. Une chute qui a concerné par la suite toute la chaîne du capital-risque, jusqu’aux Séries A. 

Il faut noter que les fonds de capital-risque ne sont qu’un maillon de la chaîne de financement, aux côté des acteurs bancaires, des fonds de dette, du revenue-based financing…

Chiffres clé

Outre l’impact sur les valorisations, la correction intervenue en 2022 a donc eu un effet sur les volumes levés. En 2022, les fintech ont recueilli 164,1 milliards de dollars au cours de 6 006 opérations (levées de fonds et M&A) au niveau mondial, rapporte l’étude Pulse of Fintech KPMG (d’après les données de PitchBook). Un montant en baisse par rapport au record de 238,9 milliards de dollars sur 7 321 transactions en 2021. Les paiements restent le domaine le plus en vogue. 

Hors M&A, les levées de fonds des fintech ont représenté 10,5 milliards de dollars au dernier trimestre 2022, contre 32,4 milliards de dollars un an plus tôt.

Source : Pulse of Fintech, KPMG

Selon Sifted, qui rassemble des données de Dealroom, le secteur fintech est celui qui a connu la plus forte diminution des investissements depuis le ralentissement entamé en 2022. Début 2023, les segments deeptech et climate tech ont ainsi dépassé la fintech en termes de fonds levés, avec respectivement 2,9 milliards de dollars et 2,6 milliards de dollars recueillis au premier trimestre, contre 2 milliards de dollars pour la fintech. La healthtech arrive juste derrière avec 1,9 milliard de dollars. En comparaison, un an plus tôt, le secteur fintech dépassait les autres avec 9,7 milliards de dollars levés, devant la deeptech (5,7 milliards), la climate tech (5,1 milliards) et la healthtech (3,8 milliards).

En France, selon le baromètre de mind Fintech réalisé en partenariat avec eCAP Partner, 103 start-up et scale-up françaises de la finance et de l’assurance ont levé des fonds en 2022 pour un montant total de 2,2 milliards d’euros, soit 21 % des 12,3 milliards d’euros levés par les start-up françaises du numérique. La progression par rapport à 2021 (99 start-up avaient levé 2,016 milliards d’euros) est bien moins forte qu’entre 2020 et 2021. La baisse se poursuit début 2023 : 19 start-up et scale-up françaises de la finance et de l’assurance ont levé 214 millions d’euros au cours du premier trimestre 2023, contre 1,2 milliard levés par 36 start-up au premier trimestre 2022.

Les enjeux

Quête de rentabilité

Se financer est désormais plus compliqué et les valorisations sont revues à la baisse. De nombreuses fintech ont bouclé des tours de table pour des valorisations inférieures à celles du tour précédent, dont ceux, emblématiques, de Klarna en juillet 2022 (diminution de 85 % de la valorisation) et de Stripe en mars 2023 (diminution de près de 50 %). Ce nouveau contexte impacte les stratégies de développement : pour les investisseurs, la rentabilité est devenu le maître mot. Les fintech se serrent la ceinture pour diminuer leurs coûts et les stratégies agressives d’acquisition laissent souvent la place à des feuilles de route plus mesurées, avec la monétisation des clients en première ligne.

Perspectives

En 2023, KPMG s’attend à des opérations de plus petite taille – vu l’instabilité des valorisations, les méga-opérations de plus de 10 milliards de dollars seront peu nombreuses, du moins au premier semestre. Dans un contexte de marché tendu, les fintech et insurtech devraient en effet continuer de repousser leurs levées de fonds en réduisant leurs coûts et en mettant l’accent sur la quête de rentabilité. C’est par exemple le cas de Revolut, dont l’objectif est de ne plus lever de fonds jusqu’à une future IPO, a indiqué en mai 2023 Antoine Le Nel, VP Growth, à mind Fintech. Le segment des Séries A devrait être plus épargné. 

En parallèle, les opérations de consolidation entre fintech pourraient se multiplier. Plusieurs ont déjà eu lieu en 2022 : le rachat de Penta par Qonto, en Allemagne, de Pixpay par le Britannique GoHenry, lui-même acquis par Acorns… 

Les organisations

Fonds spécialisés

De nombreux fonds spécialisés dans le secteur fintech se sont montés ces dernières années. En France, c’est par exemple le cas de BlackFin Capital Partners, qui a bouclé un premier closing en 2018 (à 180 millions d’euros) et un second en 2023, pour un montant de 400 millions d’euros. 

Truffle Capital, qui a pour particularité de créer des sociétés en interne, a également bouclé un fonds fintech de 140 millions d’euros fin 2019. Et NewAlpha AM, qui a lancé en novembre 2015 le premier fonds français de capital-risque dédié à la fintech, a déjà réalisé plusieurs cessions.

À l’étranger, de nombreux fonds ont fait un choix similaire. C’est par exemple le cas de Portage Ventures, de Valar (le fonds de Peter Thiel, par exemple au capital de Qonto) ou encore d’Andreessen Horowitz.

Outre ces fonds spécialisés, les sociétés de capital-risque spécialisées dans la tech se sont penchées sur le secteur fintech. C’est le cas des Français Partech, Serena, Kima Ventures ou Alven par exemple, et des étrangers Anthemis Group, Balderton Capital, Sequoia Capital, Ribbit Capital…

Fonds corporate

Les banques et assureurs ont fait de l’investissement dans les start-up l’un de leurs leviers d’innovation.  Dans son rapport annuel “Global CVC report” de 2020, CB Insights note ainsi qu’en termes de nombre d’opérations, la fintech se classe à la seconde place des segments les plus populaires en 2020, juste derrière l’IA. Elle occupait même la première place entre 2016 et 2019. 

Beaucoup d’acteurs ont ainsi créé des fonds de corporate venture, mettant souvent en avant des stratégies de collaboration et des synergies avec les fintech et insurtech de leurs portefeuilles. C’est par exemple le cas pour des assureurs comme AG2R La Mondiale, AXA, Malakoff Humanis et la Macif. La mutuelle MAIF a aussi lancé MAIF Avenir pour investir dans des start-up à impact, faisant ainsi écho à son statut d’entreprise à mission.

Les banques ont, elles aussi, lancé des fonds corporate : BNP Paribas avec Opera Tech Ventures, lancé en 2018, Société Générale avec Société Générale Ventures, qui compte plus d’une trentaine de participations, Santander Innoventures et BBVA à l’étranger… 

Ces investissements minoritaires débouchent fréquemment sur des partenariats commerciaux -ou, à l’inverse, des partenariats se renforcent par une prise de participation- et, parfois, sur des acquisitions.

Banquiers d’affaires

Si les fintech et insurtech en quête de financements négocient parfois en direct avec les investisseurs (notamment lors de la période faste, au cours de laquelle les termes de négociations étaient très favorables au start-up), certaines font appel à des banquiers d’affaires pour les accompagner dans la négociation. Plusieurs ont des équipes spécialisées, à l’image de Gimar&Co, Clipperton (qui a nommé Vanessa Sorel au poste de directrice en charge du pôle fintech) et de la Banque Hottinguer. D’autres sont positionnés plus largement sur le segment tech, comme GP Bullhound, Avolta Partners, FT Partners, Cambon Partners, Bryan, Garner & Co, Arma Partners ou encore Rothschild Tech. 

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